Petite mise au point

Sa Seigneurie le Braw Wortun Kekorg Akturekk, Administrateur Imperia du Wol’Drun regarda pour la dixième fois de suite l’immense carte des déserts de ce pays qui occupait un pan de mur entier de son bureau.

Le bureau était dans le plus pur style impérial Eke, à la fois rustique et avec un certain charme. Les meubles en chêne étaient légèrement patinés, avec un assemblage traditionnel à la ferrure. Une lourde tenture situé derrière le siège principal du Braw Wortun rappelait les couleurs de l’Empereur – entièrement verte – autant qu’elle rappelait ainsi aux visiteurs de quelle autorité était détenteur l’Eke affable qui se tenait ici.
Plutôt grand, avec deux mètres vingt de hauteur et plus de cent vingt kilos, il restait pourtant, parmi les siens, et surtout pour son père, un être chétif qui n’égalerait jamais la lignée de Chevaliers familiale. A vrai dire, ses frères mesuraient tous au moins dix centimètres de plus et surtout pesaient vingt à trente kilos de muscles en plus.
D’épais tapis venus de l’Eken-Tankra, faits mains selon la plus grande tradition des Ekes des déserts, tapissaient le sol. Des poufs étaient jetés, semble-t-il avec négligence sur le sol, mais de fait étaient posés avec tout l’art de l’étiquette des Ekes, permettant chacun de s’asseoir selon son rang. Des petites tables basses de chêne étaient aussi disséminées, couvertes chacune d’une multitude de services à thé – car cette boisson était un art traditionnel chez les Ekes.

Malgré l’ambiance apparemment chaude du bureau, l’atmosphère y était glaciale. Alignés en rang devant le Braw Wortun, dont ils supportaient la dixième étude silencieuse de la carte du Wol’Drun en une heure, les Administrateurs régionaux, tous d’anciens et puissants guerriers ou chevaliers, attendaient. Depuis une heure, leur chef à tous n’avait pas prononcé un seul mot.

Finalement, il se tourna vers eux, le regard glacial.

-« La Horde, messieurs, cela vous dit quelque chose ? »

L’impétueux chef du Mouf’derwolf, Akor Margrak, s’avança.

-« Un simple nom, Monseigneur ! Un simple nom qui n’a guère d’importance. Les Wols eux-mêmes ne savent pas trop ce que cela signifie. Enfin, ce que je veux dire, c’est qu’ils en connaissent le sens traditionnel mais ne voient pas bien à quoi cela correspond de nos jours. »

-« Un simple nom ? Un simple nom qui a su, en quelques mois, se répandre dans tout un pays au point qu’il se murmure aujourd’hui dans les quartiers extérieurs de Kulwul Dun, là où je réside et où s’exerce le pouvoir impérial ? »

L’apparent calme dans la voix du Braw Wortun fit reculer l’impétueux Akor Margrak.

Et aussi soudainement qu’un furvent, la colère de Kekorg Akturekk éclata. Renforcée par l’usage habile d’un pouvoir mental, sa voix tonna, mais elle n’aurait pas pu être entendue même avec une oreille contre la porte. Car il n’avait appliqué son pouvoir qu’aux Ekes présents dans la pièce.

-« Une dizaine de wols à tout casser, qui traversent le Wol’Drun, terre impériale et aucun d’entre vous n’a été capable d’en trouver la moindre trace. Rien ! Un simple mot, oui, et pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas dans cette pièce un seul Eke capable de mettre la main dessus ! Espèces d’incapables, combien de temps croyez-vous que mettront les Obliques ou les Fréoles à s’exciter autour de nos convois s’ils se rendent compte que nous ne sommes même pas capables de trouver et d’arrêter pour les exécuter une dizaine de Wols débraillés !!! »

Le silence retomba. Cette fois, ce fut le prudent chef du Duruk Merwol, Kusha Kakaroq qui osa s’exprimer.

-« Monseigneur, le secret le plus complet entoure ces personnes et nous avons peu d’Ekes à notre disposition. Nous ne pouvons quadriller tous les déserts ! Toutes les troupes impériales sont au nord et nous en manquons cruellement. Mises à part les convois, dont nous assurons en priorité la garde, nos moyens sont insuffisants, du moins dans les grands espaces. Et pour l’instant, il semble que ce soit là que se trouve la Horde, évitant prudemment toute zone habitée et encore plus les grandes villes sous notre contrôle. Bien sûr, ils ont débarqué à Irkwalf-Melomdra, et il été aurait bien de les arrêter à ce moment-là... »

Indirectement mis en cause, la chef du Wor Melnar, Isha Warom, se sentit obligée d’intervenir.

-« Dois-je rappeler au Wortun du Duruk Merwol que lorsque cela ait censé être arrivé, nous n’avions même pas connaissance de cette Horde ? Mais puisqu’il est vraisemblable qu’elle trace sa route vers vous, sans nul doute parviendrez-vous à un résultat ? »

Kekorg Akturekk tapa du poing sur son bureau.

-« Par tous les Enfers ! Est-ce là tout ce que vous êtes capables de proposer comme service à l’Empereur : de vaines disputes entre vous ? Je vais vous dire quelque chose, Wortuns du Wol’Drun : vous êtes à mes yeux tous responsables. Et pour cela, je vais être extrêmement clair. Je vous donne cent jours pour me trouver cette Horde. Pas un de plus. Dans cent jours, j’estimerais que vous avez desservi votre Empereur en me desservant moi. Et vous serez exécuté par décapitation et croyez-moi bien que je me chargerai personnellement de veiller à ce que vos têtes soient jetées dans l’Océan et vos corps suspendus dans le vide de cette faille ! »

Les chefs Ekes frémirent. Leur société, construite selon un exercice du pouvoir pyramidal était aussi fondée sur le culte d’Yrotz, le Dieu de la Mort. Ce n’est pas tant que c’était le seul Dieu vénéré dans l’Eken-Tankra, mais c’était celui dont les préceptes fondaient les croyances et les peurs des Ekes. Hors, les Ekes étaient la race préférée d’Yrotz, et au jour de sa mort, un Eke devait se présenter, comme tous les mortels, devant le Dieu pour qu’il puise juger de ses actions. Mais cela ne pouvait se faire sans que le corps soit entier. Et surtout, qui oserait se présenter devant son Dieu sans sa tête ? Etre décapité était déjà une punition qui devrait être expliquée au Dieu, car se présenter avec la tête sous le bras était du plus mauvais goût. Mais sans tête… Tout Eke savait que cela condamnait la personne morte à chercher longtemps celle-ci, et si elle était au fond de l’Océan, une éternité d’errance loin des Cavernes d’Yrotz était insupportable à imaginer.

Le regard de Sa Seigneurie le Braw Wortun Kekorg Akturekk passa successivement de chef en chef, marquant au fer rouge leur esprit déjà bien inquiet.

-« Y-a-t-il enfin dans cette pièce un Wortun désireux de servir son Empereur ? »

Sans hésitation, les sept Wortuns avancèrent d’un bloc.

-« Cent jours. Pas un de plus », conclut-il en faisant un geste vague de la main pour les congédier.

Avec hâte, ils quittèrent le bureau, puis, sans même se parler, s’empressèrent de quitter le palais pour rapidement regagner leurs propres Palais régionaux. Après tout, ils n’avaient que cent jours pour sauver leur mort.



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