La victoire de Julawaf

Quand ils furent seuls, il frappa du main sur le bureau.

-« Comment-a-t-il osé ! »

Jalawaf répondit de la voix posée qu’on lui connaissait toujours. Ceux qui lui en connaissait une autre n’était plus de ce monde pour partager leur expérience.

-« Monseigneur, cela est la preuve qu’il ne faut pas seulement mettre fin à la horde… Même le Gouverneur, pourtant entièrement acquis à vous, et donc à l’Empereur, ne parvient pas à se séparer du poids de la tradition locale. La Horde est un signe de cette tradition, mais il en est un beaucoup plus fort, vous le savez. Il est le ciment de leur société. C’est l’un des rares secrets de ce que nous avons trouvé dans leur Temple que nous ayons réussi à percer pour l’instant, mais il est majeur. Détruire le ciment de leur société la détruira et ouvrira la voie à une nouvelle que vous pourrez façonner à la volonté de l’Empereur. Mes études me permettent d’affirmer que je crois détenir le moyen d’y parvenir, Monseigneur. »


-« Nous en avons déjà parlé. Aucune Mâgie ni aucune Fôa ne possède la puissance nécessaire. Qu’as-tu trouvé de nouveau qui change quelque chose à cela ? »

Julawaf sourit. Des rêvs qu'il travaillait sur tout cela, et aujourd'hui, il était en mesure, enfin, d'obtenir l'accord dont il avait besoin. Il sortit d’une de ses manches un grand parchemin jauni, écorné et à moitié déchiré.

-« Ce que je vous montre a coûté de nombreuses vies,surtout pour conserver le secret. Et je préfère être franc avec vous : j’ai récupéré ce parchemin en un lieu interdit. Il ne serait pas bon que quelqu’un en Eken-Tankra apprenne que nous avons accès à une information qui ne devrait être connue de personne… »

Kekork Akturekk regarda le Théurge longuement. A mots à peine voilés, ce dernier venait de reconnaître qu’il était allé contre une décision de l’Empereur imposant le secret sur quelque chose.

-« J’avais entendu parler d’une histoire, Monseigneur… Je n’ai fait que vérifier sa véracité. », ajouta encore le Théurge.

Le Braw Wortun étendit le bras et s’empara du parchemin. Il le déplia sur son bureau et y vit ce qui semblait être une cité tenant sur une montagne inversée, déversant des pierres sur une autre cité. Des créatures semblaient voler autour de cette dernière. Il retourna le parchemin. Un schéma complexe était dessiné au recto, semblant montrer un mécanisme, une sorte de cristal bleu dressé et entouré de nombreuses créatures blanches ainsi que de prêtres et de mages. Une créature au visage hideux, les yeux ovales inclinés vers son nez, semblait diriger le processus. Il tourna et retourna le parchemin dans tous les sens puis finit par dire.

-« Tu m’expliques ? »

-« Bien sûr, Monseigneur. C’est une Cité Volante. Imaginez une ville entière, sur son socle de roches, qui vole dans les airs. Une telle masse que plus aucun vent ne peut la troubler. Sur cette illustration de son action au combat, on comprend qu’elle devait posséder une multitude de trappes permettant de déverser des tonnes de rochers sur une ville ennemie. Qui pourrait résister à un tel assaut, Monseigneur ? Sans compter qu’elle possède la taille pour transporter une armée entière. »

-« C’est une arme puissante, c’est certain. Mais en quoi servirait-elle notre dessein ? »


"Notre"... Que Kekorg utilise ce mot signifiait qu'il s'était emparé de l'idée. Intérieurement, Julawaf exhultait. Il touchait au but ! Il retourna le parchemin.

-« Imaginez la puissance nécessaire pour obtenir ce résultat, Monseigneur. Et ici est décrit le fonctionnement. Je crois que nous pourrions utiliser cette puissance pour accomplir votre dessein. »

Son doigt tapota la créature au visage si laid.

-« Et je sais où trouver celui qui sait mettre en œuvre ensembles la Mâgie, la Fôa et les pouvoirs mentaux. Il s’agit d’un Vxôx, Monseigneur, une race qui s’est retirée dans ses montagnes depuis une vingtaine de rêvs. Cette race est ennemie de notre Empereur, mais je pourrais peut-être entrer en contact avec eux. Peut-être y-a-t-il un des leurs qui accepterait de venir ici. Et sinon, à tout le moins d’être prêt à vous enseigner le savoir nécessaire pour mettre en œuvre ce mécanisme. »

-« Et les créatures blanches ? »

-« Je ne sais pas, Monseigneur. Mais ce Vxôx devrait savoir. »


Kekorg Akturekk se pencha en arrière. Pour l’instant, sa réputation était bonne puisque les convois impériaux passaient sans trop de casse dans les vastes déserts. Les généraux lointains, sans doute encore en conquête victorieuse, acceptaient ces pertes. Mais qu’en serait-il quand ils commenceraient à perdre et chercheraient à désigner un responsable – un coupable – à l’Empereur. Il n’était pas au front, mais tout dépendait de lui.
Que les convois de ravitaillement s’arrêtent et la guerre s’arrêterait. Il devait donc tout mettre en œuvre pour que l’échec soit définitivement rayé de sa brillante carrière.

Il tapota le parchemin.


Pour garantir ses chances, il allait devoir franchir une ligne qu’il n’avait jamais osé approcher. Car pour briser définitivement le peuple Wol, il fallait donc faire appel à un pouvoir et des connaissances que l’Empereur avait apparemment interdits.

Ses doigts continuaient de tapoter.

Mais après tout, Julawaf était celui qui avait défié cet ordre, pas lui.

-« Pars rechercher un Vxôx. Tu peux prendre qui tu veux dans la garnison, mais aucun ne devra pouvoir témoigner de ce que tu as fait. »

Julawaf inclina la tête et se retira sans la relever. Quand il commença à disparaître dans l’ombre, il dit.

-« Je réussirais ou je périrais, Monseigneur. Que la volonté d’Yrotz décide de mon destin. »