Les Fréoles

Il n'y a rien de plus excitant pour un village d'Abrité que de recevoir la visite de Fréoles, excitation qui trouble toujours les Exarques qui aiment l'ordre établi. Les Fréoles ont cette fâcheuse tendance à désorganiser les choses, à marquer leur passage avec un vent de liberté - pour ne pas dire de libertinage - qui fait que les autorités veillent souvent à ce qu'il n'y ait pas de débordement - et les épouses veillent sur leurs maris. Et il n'y a rien de plus agaçant pour un Oblique que de tomber sur un nid de Frelon, surnom que les Obliques donnent à ces derniers. Les Pousse-Sables, eux, les appellent les Frivoles.

Il y a quelque chose d'éminemment vivant chez les Fréoles. La vie c'est le mouvement, ils le savent, et ils en ont fait un mode de vie. Les Fréoles ont, comme les Obliques, un rejet de l'autorité centrale, mais ils ne sont pas pour autant devenus associables. En fait, ils vivent en marge des règles édictées par les Palatins, mais toujours dans le respect de leur Confrérie. Car voilà sans doute ce qui caractérise le plus les Fréoles : ce besoin de liberté, mais pas tout seul. La Confrérie est leur solution, un groupe plus ou moins important, qui partage les mêmes valeurs, les mêmes goûts et qui se structure afin que chacun y trouve sa place. L'arrivée d'un nouveau dans une Confrérie est toujours un grand moment et une longue réflexion, car il faut que ce nouveau trouve une place au sein de la Confrérie.

Les Fréoles sont donc tout naturellement devenus les principaux propriétaires des vaissairs et vaissables car chaque bateau demande une organisation, un travail en commun dont le résultat doit dépasser la simple somme des capacités individuelles. A la manière des Obliques, les Fréoles sillonnent les déserts, mais ce n'est pas pour échapper aux autres, bien au contraire, mais pour aller à la rencontre des différences. Car si la Confrérie vit selon un mode, elle est d'une curiosité insatiable, et s'il est un trait commun à toutes les Confréries, c'est celui de la découverte des sables, du vent, mais surtout de l'autre. Cette curiosité maladive, qui les fait tournoyer autour de la moindre rencontre, allant jusqu'à prendre les esprits dans un tourbillon d'émotions, expliquent sans doute mieux pourquoi les Obliques les fuit et les surnomment les Frelons !

Dans le fond, le Fréole est à la fois un Pousse-Sable qui se serait affranchi de son chameau et un Oblique qui aurait retrouvé goût pour les autres. Ce qu'il ne pourrait pas être en revanche, c'est un racleur. Vivre là, sans aucun espoir de changement, dans la monotonie et la répétition. Oui, la monotonie, voilà ce qui tuerait un Fréole encore plus sûrement qu'être enfermé en prison. Il pourrait même survivre à un temps d'esclave dans une mine, tant qu'il peut y rencontrer des gens et changer souvent de poste. Mais il ne pourrait survivre à tout ce qui le ralentirait, l'essoufflerait. Essoufflé, c'est le surnom qu'il donne aux Abrités, parfois aux Pousse-Sables. Les premiers parce qu'ils sont fixes, les seconds parce que souvent, ils ne varient pas leurs itinéraires, avançant lentement, toujours sur la même trace.

Le Fréole a enfin une tradition gênante, pour ne pas dire inquiétante pour les épouses. Epris de liberté, le Fréole ne sait pas ce qu'est la mariage. Lui, elle, il butine. Il peut même butiner à plusieurs, voire s'essayer à la voile et au sable (et le Père-de-Tout sait qu'avec le sable, cela peut faire mal). Et il aime ce qui change, ce qui est neuf, ce qui est nouveau. Ainsi, les femmes Fréoles préférent être enceinte d'un inconnu rencontré au hasard du chemin, que d'un membre de la Confrérie. Cela n'exclut pas que, par amour, il y ait quelques exceptions, mais quel Fréole ferait preuve d'amour en s'accaparant l'autre ? N'est-ce pas là plutôt de la possession, enfermement et au final monotonie ? L'amour n'est-il pas liberté des corps et des sens ? Le Fréole est donc peu jaloux, admettra sans mal que lorsqu'il fait escale, chacun puisse s'amuser comme bon lui semble. Retourné à bord, sans doute sera-t-il plus sage, mais ce n'est pas certain. Il faut y voir une réalité : quand on doit vivre une vie tous ensembles, il ne faudrait pas qu'un désir de possession empoisonne tout une Confrérie.

Cette attitude de partage Fréole est valable aussi pour les objets. Chacun ne possède souvent que ce qu'il porte sur lui. Le reste appartient à la Confrérie. Chacun se sert selon le besoin qu'il en a et remet ensuite l'objet à sa place, c'est-à-dire sûrement ailleurs que là où il était initialement. Un Fréole ne comprendrait pas qu'à bord, un membre de la confrérie enferme ses affaires dans un coffre fermé. Cela ne se fait pas. Poussé par sa curiosité, un Fréole pourrait appliquer cette idée une fois débarqué. Une chose est sûr, il a horreur d'une porte fermée à clé, ou d'un coffre. Alors, il arrive parfois, après le passage d'une confrérie Fréole, qu'il manque quelques objets, mais il arrive aussi souvent que d'autres aient pu apparaître à leur place.
La seule chose que le Fréole respecte dans ce domaine, c'est ce qu'il transporte, car sinon, la Confrérie y perdrait sa renommée.

Ah, la renommée ! Aucune confrérie Fréole ne pourrait vivre si elle ne survivait pas dans l'imaginaire Wøl. Toute Confrérie possède donc inévitablement son barde, son troubadour, celui qui a la mission majeure de raconter la vie de la Confrérie, que dis-je la vie, de venter le quotidien de celle-ci, de la dresser au firmament. Et à ce petit jeu, deux Confréries se battent en haut du panier : l'Escadre Frêle, qui possède la seule caravair Wøl, la Physalis, et ??, qui possède le seul sablevent Wøl, le Voldor.